Patric NOTTRET   POISON VERT

 

Premier chapitre

Le caïman cligna d'un oeil. Le globe d'or rayé d'une pupille verticale pivota légèrement. Il inclina sa tête plate, observant la surface à quelques centimètres au-dessus de lui. Les frondaisons des arbres géants se détachaient maintenant sur le ciel gris de l'aube. Il avait passé la nuit dans cette mare peu profonde et il commençait à ressentir la faim. Il s'appuya sur ses pattes musculeuses et souleva imperceptiblement ses deux mètres cinquante de souple carapace blindée, sans créer la moindre ride à la surface du marigot. Le bruit changea soudain et il perçut toutes les vibrations et la moiteur de la jungle autour de lui, le crissement perpétuel des insectes et l'appel hypnotique des oiseaux, loin, très loin dans les arbres. Il était inquiet. Son cerveau primitif recevait depuis un moment des signaux qui se rapprochaient à travers la végétation, des signaux qui ne correspondaient à rien de ce qu'il connaissait. Il resta parfaitement immobile...

Il enregistra, à une dizaine de mètres vers la gauche, un léger mouvement qu'il suivit très lentement de la tête, orientant son museau trapu dans cette direction. Les oiseaux étaient devenus silencieux d'un seul coup. Il y eut un craquement de branche et l'odeur inconnue remplit ses narines. L'odeur d'un gibier. Un gibier apeuré, dressé sur ses pattes arrières, avançait vers lui dans les fougères arborescentes. Ce gibier-là n'avait aucune conscience de sa présence à quelques pas de lui...

Le caïman voyait un homme pour la première fois. Il n'en fut pas réellement troublé. Il estima la distance, banda ses formidables muscles et se prépara à attaquer. Ce qui était somme toute sa fonction ici-bas. [...]

 

 


Marie Lusinchi©2002