Premier chapitre
Le caïman cligna d'un oeil. Le globe d'or rayé d'une pupille
verticale pivota légèrement. Il inclina sa tête plate,
observant la surface à quelques centimètres au-dessus de
lui. Les frondaisons des arbres géants se détachaient maintenant
sur le ciel gris de l'aube. Il avait passé la nuit dans cette mare
peu profonde et il commençait à ressentir la faim. Il s'appuya
sur ses pattes musculeuses et souleva imperceptiblement ses deux mètres
cinquante de souple carapace blindée, sans créer la moindre
ride à la surface du marigot. Le bruit changea soudain et il perçut
toutes les vibrations et la moiteur de la jungle autour de lui, le crissement
perpétuel des insectes et l'appel hypnotique des oiseaux, loin,
très loin dans les arbres. Il était inquiet. Son cerveau
primitif recevait depuis un moment des signaux qui se rapprochaient à
travers la végétation, des signaux qui ne correspondaient
à rien de ce qu'il connaissait. Il resta parfaitement immobile...
Il enregistra, à une dizaine de mètres vers la gauche,
un léger mouvement qu'il suivit très lentement de la tête,
orientant son museau trapu dans cette direction. Les oiseaux étaient
devenus silencieux d'un seul coup. Il y eut un craquement de branche et
l'odeur inconnue remplit ses narines. L'odeur d'un gibier. Un gibier apeuré,
dressé sur ses pattes arrières, avançait vers lui
dans les fougères arborescentes. Ce gibier-là n'avait aucune
conscience de sa présence à quelques pas de lui...
Le caïman voyait un homme pour la première fois. Il n'en
fut pas réellement troublé. Il estima la distance, banda
ses formidables muscles et se prépara à attaquer. Ce qui
était somme toute sa fonction ici-bas. [...]
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